LES SOUS-MARINS MODERNES par : Jean Ceccarelli, capitaine de frégate (H).


HMS S107 Trafalgar



Introduction :

On peut distinguer deux phases bien distinctes dans l’histoire de la guerre sous marine :

1/ La période du sous-marin d’attaque,
au cours des deux guerres mondiales et s’achevant à la fin des années  50. Le sous-marin constituant un moyen efficace de menace et de destruction des bâtiments de surface  ennemis et de ses lignes maritimes de ravitaillement (shipping).

On  l’a rencontré durant la 1ére et les 2éme  guerres mondiales, au cours de trois  campagnes principales : les 2 batailles de l’Atlantique durant lesquelles les sous-marins  allemands ont  presque failli réussir à  couper les lignes de ravitaillement des alliés  mais finalement ont étés réduits par les forces d’escorte,  et  la campagne du Pacifique qui a vu la destruction complète du shipping japonais par les sous-marins américains.

2/ La phase du sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE),
parfait outil de dissuasion en temps de guerre froide, indétectable, porteur de puissance de destruction continentale et « dernier recours » éventuel. La  chute de l’empire soviétique  et la fin de la guerre froide n’ont  pas pour autant correspondu à la disparition de l’activité  sous-marine.  Les mouvements des puissants sous-marins « Taifun » russes, et l’activité de harcèlement des sous-marins côtiers nord coréen en sont une représentation suffisante.

 

Des programmes relativement importants de développement technique en Chine, des achats ou constructions sous licence dans divers endroits du monde ( en particulier dans le Pacifique et l’océan indien) laissent à penser que de nombreuses puissances, certaines de taille assez modeste, s’intéressent toujours à la guerre sous-marine et souhaitent s’y préparer.

 

A ce jour les forces en présence s’établissent comme suit :


Russie :  80 sous marins de combat
 :
20 SNLE ( appellation anglo-saxonne : SSBN submarine-strategic-balistic-nuclear)
37 SNA ( submarine-nuclear-attack)
23 SSK ( submarine -diesel-classique).Certains ne figurant plus que "nominativement" sur la liste navale.

Etats Unis : 83 sous marins, tous nucléaires :
18 SNLE
65 SNA.


Chine Populaire : 70 sous-marins

( la très grande majorité diesel, les plus récents de classe Kilo de construction russe et quelques sous-marins nucléaires, 1 ou 2  SNLE, assez
rudimentaires ).


Grande Bretagne : 15 sous marins
, tous nucléaires :
3 SNLE
12 SNA.


France : 12 sous marins
 :
4 SNLE,
6 SNA,
2 SSK ( qui vont être désarmés prochainement).


D’autres pays possèdent aussi des forces sous marines  organisées :

En Europe :  diverses autres puissances  du pacte atlantique  OTAN ( Allemagne, Hollande, Norvège, Italie, Espagne, Grèce, Turquie, Portugal ), ainsi que les  marines suédoise et ukrainienne.


Au Moyen Orient
 : les marines israéliennes, égyptienne, iranienne.


En océan indien
 : le Pakistan, l’Inde  et l’Afrique du sud.


Dans le Pacifique
 : le Japon, le Canada, le Chili, la Corée du Nord.


Enfin dans le monde, divers autres pays  peuvent « aligner » dans leur flotte militaire un ou plusieurs submersibles, mais sans valeur opérationnelle très affirmée  : Algérie, Libye, Argentine, Pérou  etc...

 

Au global  :

1/ en terme de nombre de bâtiments,
en répartition par types de navires on peut décompter :
-SNLE 9 %,
-SNA 20 %
-SSK 55 %,
-sous-marins 16  %.



2/ en terme de localisation par zone :

-Amérique du sud 5 %,
-Pacifique 45 %,
-Atlantique 32%,
-Méditerranée 11 %,
-Océan indien 7 %.



Sous-marin Russe Classe Kilo

 

La fin de la période de tensions entre les 2 grandes superpuissances a fait diminuer l’activité sous-marine des 4 « grands », mais fait constater l’émergence de nouvelles activités de sous-marins conventionnels partout dans le monde.


Vie des équipages
 :


Classiquement dans toutes les forces comportant des sous-marins  nucléaires opérationnels  on arme ces bâtiments  avec 2 équipages
( traditionnellement l’un « bleu » et l’autre « rouge »)  afin de pouvoir faire face à l’intensité des activités de ces types de navires.

A titre indicatif, dans la marine nationale française, le planning d’utilisation d’un équipage (le  « bleu » par exemple)   s’établit  ainsi, sur un cycle d’environ  34 semaines consécutives comme suit :

-17 semaines de « charge » : patrouille lointaine ou navigation.

-5 semaines de « soutien » : entretien du bâtiment à la base, en commun avec l’équipage « rouge », puisque le bâtiment est en immobilisation technique entre 2 patrouilles.

-6 semaines de « permission » de détente.

-6 semaines d’entraînement intensif  aux divers  simulateurs d’opérations ou de sûreté nucléaire. Cette période est absolument  primordiale dans l’acquisition et le maintien du professionnalisme de toutes les  équipes de quart  et la cohésion des différentes  fonctions  en dépit des changements d’affectations de leurs membres. Les simulateurs actuels se situent à un très haut niveau de réalisme et permettent de reconstituer les situations les plus sophistiquées ou les plus  complexes.

L’équipage « rouge », quant à lui, suit un cycle inverse.

 

Recrutement :

Dans toutes les marines significatives, il est basé uniquement sur des  volontaires, après tests ou épreuves physiques, psychotechniques et de motivations. En général, il n’y a pas de problèmes de volontariat de qualité au niveau des officiers mariniers. Pour les officiers, outre le volontariat et la qualité se pose le problème de la sélection des futurs commandants de SNLE, tant aux niveaux professionnels qu’au plan psychologique ( capacité d’analyse sous stress).

 

Entretien des bâtiments :

En plus des plages d’entretien de  « reconstitution » entre 2 activités, les sous-marins nucléaires subissent un « grand entretien » tous les 5 ans, cette  immobilisation dure un an. Cet intervalle pourra être porté à 7/ 8 ans pour les navires futurs.

 

Missions des sous marins nucléaires :

En France, les SNLE assurent la dissuasion nucléaire française ( ils détiennent 95 % des ogives  opérationnelles ) en agissant sur ordre du président de la république en cas d’atteinte des intérêts vitaux nationaux

Précédemment, à l’époque de la guerre froide, 3 sous-marins se trouvaient simultanément en patrouille, la baisse de la menace a ramené cette  précaution à 2 actuellement.

Ils dépendent, pour l’ordre de feu, directement de la présidence à l’aide d’un circuit spécial de transmissions. Opérationnellement ils sont rattachés au chef de  l’état major général des armées, sous les ordres de l’amiral ALFOST ( amiral des forces océaniques stratégiques). Organiquement, en revanche, c’est le chef d’état major de la marine qui est responsable de l’entraînement et de la maintenance de cette force.


La mission des SNA est plus diversifiée
 :

-         en temps de paix : soutient de la FOST (force  sous-marine stratégique) et du groupe aéronaval ( porte-avions), pistage et renseignement ( écoute microphonique et analyse radar, surveillance discrète des cotes et veille radioélectrique).

-         en opérations de guerre : Lutte anti-surface et sous-marine, opérations spéciales  (minage offensif des cotes, débarquement d’agents ou de commandos...), protection  rapprochée du groupe aéronaval ( ce fut la mission concrètement remplie par les SNA anglais lors de la guerre des Malouines, qui ont « fixé » dans ses bases toute la marine argentine après le torpillage du croiseur « Belgrano »).

-         Les possibilités de déploiement des sous-marins nucléaires s’établissent à l’échelle  mondiale. Leur rayon d’action est quasiment illimité en ce qui concerne l’autonomie  motrice ( 2 fois la distance terre lune...) et leur  vitesse pratique  de transit très soutenu, elle est supérieure à 20 noeuds en plongée. A titre indicatif, il faut compter depuis les bases métropolitaines françaises, pour le délai de mise en place sur zone  d’un SNA : 9 jours pour les Antilles, 5  pour la cote occidentale d’Afrique, 35 pour l’extrême orient, 32 pour le Pacifique. En ce qui concerne les théâtres d’opération du Golfe, 9 par Suez et 27 par la route du Cap. En  Méditerranée orientale, il faut prévoir 4 jours.

 

Outil sous marin :

Les habituels problèmes « navals » sont évidemment très compliqués par l’agressivité de l’environnement sous marin :

- la pression hydrostatique : prévoir des matériels et des procédures de sécurité  plongée pour des pressions de plus de 50 bars.

- l’absence totale d’air : en ce  qui concerne la propulsion, l’énergie nucléaire a démontré depuis 30 ans ses possibilités. Différentes études modernes   de propulsion AIP ( Air Indépendant Propulsion) ont repris les principes des  précédents travaux allemands  du professeur Walter, dans les domaines de la mise au point d’énergie « anaérobie » ( c’est à dire sans air). Plusieurs procédés sont actuellement en expérimentation, tous selon le même schéma de stockage simultané du carburant  et du comburant, soit pour la propulsion directe soit pour la génération d’énergie électrique :

- le système allemand  de production d’électricité par  piles à combustible (utilisation d’hydrogène liquide à travers des membranes catalytiques ) en service sur les   sous-marins  allemands et italiens du type U 212.

-  le  moteur  Stirling ( moteur à combustion externe fonctionnant à l’oxygène liquide et au gaz oil avec un  gaz de travail inerte, l’hélium) actionnant directement l’hélice, extrapolé du sous-marin civil  expérimental français « Saga », il est utilisé à bord des sous-marins suédois du type « Gotland ».

-  le système français Messma (production de vapeur par combustion d’un mélange de fuel-oil ou éthanol et d’oxygène liquide ) actionnant un turboalternateur producteur d’électricité alimentant la batterie et mis au point  sur certains sous-marins de la classe  « Agosta »  proposés au Pakistan.


Tous ces modes de production d’énergie de propulsion se  trouvent  en concurrence pour la construction de  sous-marin diesel « évolués »  destinés à des pays qui n’ont pas les moyens de maîtriser l’énergie nucléaire.

En tout état de cause, ils ne pourront jamais, et de très loin, concurrencer l’atome pour la propulsion sous-marine.  Ils permettront, s'ils sont mis au point convenablement, de « booster »   un peu les performances des SSK en leur permettant d’améliorer leur autonomie en  plongée à faible vitesse. On pourrait ainsi compter  sur 8 à 10 jours d’autonomie plongée à  vitesse lente.

- l’opacité du milieu et les aléas de la détection acoustique : actuellement les nouveaux bâtiments  ( SNA  et SNLE )  disposent d’hélices très  performantes en rendement de propulsion et en discrétion acoustique.

Leurs chaufferies nucléaires sont «compactes » ( les  circuits primaire et secondaire sont situés dans un compartiment unique  avec circulation naturelle  des éléments thermocaloriques à faible et moyenne puissance,  les pompes de circulation   n’étant embrayées qu’aux grandes vitesses ).

En ce qui concerne le critère  de rayonnement acoustique  en propulsion de croisière, il a été réduit  du facteur 1.000 par rapport à la 1ere génération de sous-marins nucléaires. La course au silence a conduit à faire grossir les coques afin de pouvoir installer un maximum de berceaux porteurs,  dissocier et éloigner les nappes de câbles pour éviter la transmission des vibrations parasites et utiliser pour leur isolation électrique des matériaux  « ductiles ».

Les coûts  de construction ont  bien entendu suivi  et sont désormais de l’ordre de 150 US dollars (1.000 FFR) par chaque  kilogramme  de sous-marin moderne.

Avec des « Triomphant » de 15.000 tonnes, on chiffre à 85 milliards de francs le programme global de mise en service de ces  4 nouveaux  SNLE  français.

La détection  sous-marine repose toujours sur la maîtrise des  2 fonctions  (actif et passif) et  des 2 types  ( coque et  remorqué ) de sonars, en jouant  ou déjouant  les arcanes de  la bathythermie et des  chenaux sonores.

On étudie depuis longtemps d’autres systèmes palliatifs :  l’observation par satellite de la luminescence des sillages, l’analyse par les avions de patrouille maritime des anomalies magnétiques et la détection au laser bleu à travers l’eau.

-         les armes disponibles sont les torpilles filoguidées ( disposant d’une tête sonar de discrimination et orientées  vers la cible depuis le sous-marin à l’aide d’un câble déroulant de 20 kilomètres ) et les missiles à changement de milieu  (Exocet ) d’une portée de 50 kilomètres. Les sous-marins, par contre,  sont toujours totalement démunis d’armes anti-aéronefs.

-         les communications sont assurées par fréquences HF et VHF (à l’aide d’antennes fouet sur mâts oléohydrauliques )  à l’immersion périscopique, par ondes  LF à très faible profondeur, et par systèmes VLF et ELF munis d’antennes filaires déroulées par le sous-marin aux immersions profondes.

 

 

En définitive, les atouts du SNA résident dans son ubiquité obtenue par sa haute vitesse de transit discret et sa puissance de feu.

 

Ses faiblesses sont  constituées cependant par son manque de moyens d’autodéfense contre les aéronefs, sa lenteur de traitement des informations tactiques de surface, et ses  capacités réduites de transmissions avec l’extérieur.

 

En ce qui concerne les SNLE actuels,  ils déplacent de 15.000 à 20.000 tonnes  en surface et de 20.000 à 25.000 tonnes en plongée, étant équipés des derniers perfectionnements en matière de discrétion acoustique (hélice carénée), ils sont généralement armés par un  équipage de 120 / 150 hommes. Ils  disposent de 16 silos lance missile + tubes lance torpilles pour leur autodéfense.

Les SNA sont dotés de tubes lance torpilles  et de missiles à changement de milieu.

 

Futur de l’arme sous marine :

1/ La marine nationale française étudie un SNA futur pour 2010, le projet Barracuda. Une nouvelle génération de 6 unités  de 4.000 t, plus endurante et « communicante » que l’actuelle série des « Améthyste ».

Peut être aura-t-on maîtrisé, à cette date,  le problème de l’autodéfense à courte portée contre les hélicoptères ? En tout état de cause  le problème restera entier vis-à-vis de la menace émanant des avions de patrouille maritime  à long rayon d’action (Patmar).


2/ Au plan des moyens  de sauvetage des équipages, peu de progrès sur le système actuel : combinaison individuelle pour les sorties jusqu’à 180 mètres et dispositif américain  DSRV (Deep Submarine Recovery Vehicle ) petite capsule sous-marine aérotransportable partout dans le monde au moyen d’un  avion cargo gros porteur  et qui peut être   immergée  à proximité de l’epave par un sous-marin normal . Dotée d’un sas equipé d’un  module standard d’accouplement aux panneaux, elle permet de  transférer depuis l’épave   « au sec »  les survivants vers le sous-marin en recueil. Ce dispositif uniquement mis en œuvre par les US Navy ( mais utilisable au profit des autres marines de l’OTAN) est susceptible d’opérer au-delà de 600/700 mètres.


3/ Sous-marins « modulaires » spécialisés. A partir d’un même vecteur, l’embarquement d’un gros module  interchangeable et amovible, pourrait permettre de spécialiser les missions (ASM, lance missiles, antimine, transport d’assaut  etc...).

 

Dans le domaine des SSK deux types de réalisations distinctes. En ce qui concerne la production des chantiers français pour l’exportation :

- 3 « Agosta »  pour le Pakistan, dont l’un equipé du systéme anaérobie.

- 2 « Scorpène »  pour le Chili, en coopération avec l’Espagne. Il s’agit de sous-marins disposant de diesels surpuissants permettant une charge quotidienne en 2 heures seulement et couplés avec des batteries modernes qui offrent à volume égal 50% de capacité électrique en plus par rapport au matériel actuel.

 

En ce qui concerne la furtivité à la détection ultrasonique, les revêtements « Anéchoiques »  offrent une certaine protection contre les sonars HF ( haute fréquence) des autodirecteurs torpilles ou des engins hélitreuillés,  mais ils ne  protègent pas contre les puissants sonars BF ( basse fréquence)  remorqués.

Par contre le  « marquage » ( installation de revêtement en tuiles absorbantes des bruits rayonnés  et des vibrations ) qui fait fonction de « pièges à bruit » constitue une voie intéressante. 



Jean Ceccarelli, capitaine de frégate (H),
membre de la société française d’histoire maritime.



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